Thursday, July 25, 2013

De Charlize Theron à Nam Jun Paik


Il est difficile de mesurer l’impact que l’image a sur nous. Certains vont avec plaisir se laisser séduire par une affiche pour peu qu’elle attire l’œil. Je me flatte à penser que la publicité n’a aucun impact parce que je ne regarde pas la télévision, ne passe pas mon temps libre à arpenter les magasins ou éplucher les magazines de mode. Cependant, il me faut toute la volonté du monde pour ne pas céder à l’appel d’un sublime sac à main ou autre élément comestible vu sur un panneau d’affichage alors que je n’ai pas faim et deux douzaines de sacs.

Mais malgré tout cela, je sais.


 Je sais que ceci est une publicité pour du parfum d’une marque de luxe française, que la femme est l’actrice sud-africaine Charlize Theron et que la forme de la bouteille me rappelle les colliers spirales des femmes Padaung, ces « femmes girafes », dont le cou grimpe de plus en plus haut à mesure que le temps s’étiole.
Je comprends que l’or de la bouteille est aussi précieux que l’or accroché à son oreille, qu’elle arrache vêtements et bijoux parce que le parfum lui suffit et que globalement, ce parfum la rend sublime et sûre d’elle.

Mais surtout, je sais et je comprends bien vite, qu’après avoir lu ce fameux « Dior, j’adore », je vais très certainement l’avoir en tête toute la journée.

Comme Panofsky l’écrivait dans ses Essais d’iconologie, il s’avère que nous avons tous les codes pour comprendre cette image alors que nous ne portons pas forcément le parfum et que nous ne connaissons pas la femme. C’est une image qui se lit au même titre que la peinture religieuse, la fameuse réductrice « Bible des illettrées » de l’occident médiéval, se lisait grâce aux nombreux codes iconographiques qui y étaient figurés.



Byzance prônait l’utilisation de l’image et cette pratique sera importée en 1204 lors de la prise de Constantinople. Elle aura une influence sur la pratique de la peinture italienne que les Franciscains vont également encourager. Peu à peu la démocratisation de la peinture sur panneaux mobiles permet de déplacer l’image religieuse dans l’espace privé; chacun peut donc prier chez soi. Elle est supposée augmenter l’efficacité des prières en permettant au fidèle de recevoir une nouvelle émotion en éprouvant de la compassion pour les souffrances du Christ. Ici, le Christ à la tête inclinée, les yeux fermés, son corps est arqué ; il se redresse une dernière fois dans son agonie. Progressivement, les grands peintres du Trecento italien vont en effet mettre en scène des épisodes de la vie du Christ en créant un illusionnisme spatial au travers de la perspective et une nouvelle façon de présenter les individus. L’image va permettre de définir l’individu dans une société, dans un groupe social et devenir un outil d’identification identitaire individuel notamment avec les emblèmes.

En termes d’illusionnisme spatial, Name Jun Paik, talentueux pionnier de l’art vidéo, avait fait une vidéo particulièrement représentative de la fonction, manipulation et distorsion de l’image avec la vidéo Global Groove réalisée en 1974, dont vous pouvez voir un extrait ici :


Cette vidéo est un zapping culturel mondial qui montre une succession d’images et de scènes qui n’ont aucun lien en commun, sauf le fait de se retrouver à la télévision.
On peut y voir des danseurs de rock dans un lieu fictif dissocié de la réalité sans sol murs ou plafond, une pub Coca-Cola, de la danse indienne ou encore un spectacle de cabaret. Ici, tout peut se retrouver à la télévision sans aucune hiérarchie culturelle ou géographique. La profusion des images fictives montre une nouvelle forme d’interaction que chacun se crée. Nam June Paik pioche dans les codes universels et transgresse nos acquis en démultipliant, par exemple, les danseurs à l’ infini. Ce procédé nous indique que les danseurs ne sont pas une réalité mais simplement une reproduction que nous ne contrôlons pas.

Aujourd’hui, l’on peut affirmer que l’image est liée à des idéaux idéologiques couplés à des idéaux esthétiques. Comme nous l'avons vu précédemment, l’image nous manipule, que nous le voulions ou non, en usant de codes simples qui, par leur profusion, font appel à nos connaissances et nos acquis. Il est pertinent de garder en tête les fonctions même de l’image :
1.    De représentation  en rendant présent ce qui est représenté.
2.    De transformation  en agissant sur le comportement du spectateur.
3.    D’enveloppe en contenant l’objet représenté et son spectateur dans une seule et même enveloppe fictive dans l’illusion d’une perception d’un monde partagée.

Il n’a pas délibérément été question ici de la retouche photographique et la création de fausses images mais l’exposition qui se tient à Houston au Museum of fine Arts, présente une exposition sur ce sujet : Faking It: Manipulated Photography before Photoshop.

Vous pouvez également trouver des informations complémentaires, notamment sur l’art religieux à l’époque médiévale dans cet ouvrage. Un autre ouvrage particulièrement intéressant sur l’esthétisme dans l’art (à paraitre durant l’automne 2013), interroge la notion de beauté dans l’art à travers l’étude des compositions, des lumières et des lignes.

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